HumanTalks Juin 2014

Introduction

Mardi dernier avait lieu les HumanTalks. Cette fois-ci c'était dans les locaux de So@t, et c'était sur le thème des jeux vidéos.

Au menu, on a eu 5 présentations :

  • Board Game Arena, un site communautaire pour jouer à des jeux de plateau en temps réel, et explication de la stack technique derrière (Jetty, Apache, PHP, long-polling)
  • Overview de ce qu'est la gamification, et comment ça marche.
  • Présentation de Gosu, une librairie Ruby pour faire des jeux vidéos en 2D très facilement.
  • Les Agile Games, et en quoi jouer stimule des parties spéciales du cerveau et peut aider à l'innovation, le cohésion de groupe et l'empathie.
  • Et finalement, retour d'expérience d'un game designer de chez Quantic Dream, et comment se passe les cycles de développement d'un AAA vu de l'intérieur.

BoardGameArena

Gregory Isabelli (@boardgamearena), nous parle de Board Game Arena, un site où il est possible de jouer en temps réel avec d'autres joueurs à des jeux de plateaux.

Le tout est (bizarrement) codé en PHP, avec un Apache devant, et des connections avec le serveur en long-polling. Derrière ces choix étranges, il faut savoir que le site a déjà près de 6 ans d'existence si je me souviens bien, et que c'était pas un si mauvais choix de stack à l'époque.

Le paradigme classique du web (le client initialise une requete, le serveur l'attrape et réponds) n'est pas possible pour faire du temps réel, vu qu'il faut que le serveur puisse notifier ses clients quand une nouvelle action se passe (classiquement, quand un autre joueur à fini son tour).

Il utilisent donc un serveur jetty devant leur apache pour gérer le long-polling. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec la technique, le long-polling consiste à ce que le serveur prenne le plus de temps possible pour répondre (mais sans timeout). Le client envoie une requete, et si le serveur n'a rien à répondre, il maintient la requete ouverte. Si jamais il est notifié d'un event en interne, il ferme la requete en envoyant le résultat de cet event, et le client renvoie aussitot une nouvelle requete. Si jamais il n'y a pas eu d'event, le serveur renvoie quand même une réponse pour éviter le timeout, et le client relance une requete.

Comment ça se passe par derrière en PHP ? Et bien, quand un joueur A envoie ses ordres, le serveur s'occupe de calculer le nouvel état du plateau de jeu. Il notifie ensuite le serveur jetty avec le nouvel état, et celui-ci ferme toutes les requetes ouvertes de tous les joueurs avec ces nouvelles informations (qui en ouvrent à nouveau de nouvelles automatiquement).

Sur boardgamearena, ils ont en moyenne 1000 joueurs connectés tous les soirs, et leur unique serveur jetty tient tout à fait la charge. Néanmoins, ils savent que s'ils doivent scaler pour accueillir plus de joueurs, il leur suffit de rajouter de nouveaux serveurs jetty (environ 1 pour 20.000 joueurs) et de modifier le PHP pour qu'il notifie plusieurs jetty à la place d'un seul.

Étant moi-même grand joueur de jeux de plateaux, j'ai beaucoup aimé ce site, que je ne connaissais pas. Ils proposent aussi un mode "studio", dispo directement dans le navigateur pour coder ses propres jeux.

La Gamification, qu'est-ce que c'est ?

David Grezinger, développeur chez Xebia, qui nous avait déjà fait une présentation sur les MOOCS à un précédent HumanTalks, nous a cette fois parlé de la Gamification (sujet qu'il a appris grâce à Coursera).

Il nous a d'abord parlé du but de la gamification, qui peut être d'attirer des utilisateurs sur une plateforme, ou de favoriser le travail en équipe. Pour cela on utilise une mécanique de points, de badges, de barres de progressions, qui peut être plus ou moins subtile. Foursquare est un exemple de Gamification assumée et très flagrante, idem pour les badges sur CodeSchool. Les barres de progression quand on rempli son profil sur LinkedIn par exemple en est un autre exemple. StackOverflow finalement est un exemple un peu plus subtil.

Mais il ne suffit pas de rajouter des points ou de badges pour avoir une gamification réussie. Le but est de réussir à recréer des mécanismes qui nous paraissent ludiques, amusants, et qui incitent, sans qu'on le remarque, à faire des tâches qui nous auraient sinon semblées rébarbatives. Il existe des applications de fitness qui poussent la gamification très loin, en simulant un mode envahi de zombis, en faisant appel à un savant mélange de carte google maps et à l'imagination de l'utilisateur pour le forcer à courir d'un point à l'autre de sa ville pour "éviter les zombis".

Il a fini par faire un parallele avec World of Warcraft, où pour réussir à battre l'un des boss les plus difficiles du jeu, il fallait à une époque réussir à regrouper une équipe de 40 joueurs différents, avec des classe de personnages (et donc des roles) complétement différents. Réussir à la coordonner, plusieurs fois par semaine, pendant des mois, échec après échec, pour finalement réussir à battre ce satané Ragnaros. Essayez donc de faire la même chose en entreprise, coordonner 40 personnes, à distance, avec des compétences et des égos complétement différents, pour atteindre un but commun, échec après échec.

Ceci n'est qu'un résumé de son talk qui était lui-même un résumé du cours de Kevin Werbach sur Coursera, donc si vous voulez creuser le sujet, je vous invite à aller directement à la source.

Faire des jeux en Ruby avec Gosu

Matthieu Segret, co-fondateur des HumanCoders nous a fait une présentation sur Ruby, et plus particulièrement Gosu. Gosu en Ruby est simplement une interface qui se bind sur une library en C qui permet de créer facilement des jeux 2D.

C'est cross-platform, ça permet de générer une fenetre dans l'OS, avec un background, des sprites, et une boucle de jeu qui écoute les événements clavier.

Lors de ses formations d'initiation à Ruby, c'est cette library qu'il utilise pour apprendre Ruby a des débutants, parce que le feedback visuel est instantané et le code est facile à lire et à écrire.

Je ne vais pas trop m'étendre dessus, vu qu'il l'avait déjà présenté à un parisRB, il vous suffira de retrouver le compte-rendu initial.

Agile Games

Talk présenté par un formateur agile de So@t dont j'ai malheureusement oublié le nom. Il nous a parlé du jeu comme mécanisme d'amélioration, d'innovation et d'estimation.

Jouer permet de manipuler des concepts de manière plus forte que de simplement les lire ou les écouter, cela permet de se les approprier avec plus de force, d'en devenir utilisateur et non plus seulement spectateur. Cela permet aussi de créer des liens entre des personnes, une synergie, une empathie qui n'est pas forcément créée naturellement dans un contexte d'équipe traditionnel.

Selon lui, on retient plus facilement une leçon quand elle est liée à une émotion forte, et comme il ne peut pas taper sur ses élèves, il préfère les rendre contents, par le jeu.

D'un point de vue purement neurologique, ce ne sont pas les mêmes zones du cerveau qui sont sollicités quand on réfléchit à un problème que quand on manipule physiquement des objets. On peut ainsi faire sortir des idées qui ne seraient pas venues si on s'était simplement limité à réfléchir au sujet. C'est simplement humain.

Il a ensuite donné plusieurs exemples de jeux agile qu'il utilise. La product box, qui consiste à essayer de construire la "boite" de notre produit si celui-ci pouvait simplement être vendu en supermarché et que l'acheter suffisait à résoudre les problèmes qu'il est censé résoudre. On réfléchit donc à mettre en avant ce à quoi le produit doit servir. Le cadrer dans un exemple concret auquel on est habitué, peut permettre de plus facilement s'approprier l'exercice. Cela permet aussi de discuter sur ce qu'il est nécessaire de mettre en avant sur le produit, et de potentiellement voire les différences de perception entre les personnes sur ce qui est important. La place sur la boite étant limitée, on doit se concentrer sur le plus important.

Il a ensuite présenté des estimation games. Partant du principe que c'est aux développeur d'estimer eux-même la durée de leur charge de travail et non pas à leur boss, que l'intelligence collective permettrait un meilleur chiffrage que l'estimation individuelle. Il nous a donc présenté le planning poker, rajoutant que l'esprit humain est facilement capable de faire des comparaison (machin est plus grand que bidule) que de donner des chiffres exacts (machin mesure 1m82). La suite de Fibonnacci est donc parfaitement adaptée pour ça.

Il a ensuite donné l'url du site tastycupcakes.com pour trouver des idées de jeux agiles, et a annoncé qu'ils avaient développés en interne à So@t un Kaizen Game, permettant d'aider l'amélioration continue, et qu'ils le présenteraient à un meetup prochainement.

Bonnes idées, même si je pense qu'on utilise un peu les mêmes techniques à Octo, je n'en ai jamais utilisé personnellement, et j'ai aimé avoir des arguments (neurologiques) sur en quoi c'est intéressant, et que ce n'est pas simplement parce que c'est plus fun.

La création d'un AAA

Alexis Moroz nous parle de son parcours de game designer dans plusieurs boites de jeu vidéo français. Il a surtout parlé de son travail sur Heavy Rain, chez Quantic Dream vu que c'est là qu'il a passé le plus de temps.

Quantic a 17 ans d'existence, et 5 jeux produits. Ils sont spécialisés dans les "Interactive Drama", un genre qu'ils ont inventés, genre de films interactifs, avec beaucoup d'émotion, mais que beaucoup de gens qualifient comme "n'étant pas des jeux".

La production d'un jeu AAA comme Heavy Rain a couté environ $20 millions de dollar, plus environ $30 millions de marketing. Au final, le jeu aura rapporté $113 millions. Aux dires d'Alexis, Heavy Rain n'était pas vraiment un "triple A", mais plutot un "2.5 A", car depuis des jeux comme les Assassin's Creed ou GTA ont complétement réhaussé le budget nécessaire à la conception des jeux. On dépasse aujourd'hui les budgets des blockbusters de cinéma.

Le rythme de développement d'un jeu de ce genre est très différent de ce à quoi nous sommes normalement habitué dans les projets informatiques. Tout est drivé par les milestones : pré-alpha, alpha, pré-beta, beta, release candidate et gold. Les dates de ces milestones sont fixées à l'avance et coincident avec des événements majeurs du milieu (E3, TGS, etc). Il n'est donc pas possible de les déplacer, une version du jeu doit être sortie à cette date, quoiqu'il arrive.

En plus de cela, les budgets pour les jeux étant colossaux, Quantic ne peut pas investir sur ses propres fonds. C'est donc le travail de l'éditeur, dans leur cas, Sony. Ils passent un contrat avec Sony, où Sony s'engage à payer leurs dépenses (locaux, salaires, etc) jusqu'à la prochaine milestone, et eux s'engagent à un certain nombre de features qui doivent apparaitre dans cette milestone. S'ils ne remplissent pas leur part du contrat, alors Sony ne remplit pas la sienne non plus. C'est à dire qu'ils ne sont pas payés, et que donc des jeux peuvent ne jamais voir le jour si une des milestone n'a pas été atteinte.

Il n'est pas possible de négocier sur les délais comme on l'a vu, et très difficile de négocier sur le périmètre, Quantic s'engageant sur celui-ci au début. Néanmoins, Alexis nous avoue que généralement on triche sur les specifications. Si on a dit qu'un niveau entier doit etre jouable, ou que tous les personnages doivent être texturés pour une étape donné, on ne fait quand même que le minimum pour ce qui n'est pas indispensable. Niveau vide à part pour l'intrigue principale, textures de basse qualité pour les endroits éloignés, etc.

Du coup, si ni les délais ni le périmètre ne peuvent bouger, qu'advient-il de la qualité ? Et bien c'est là que tout est subjectifs. Chez Quantic, les jeux jouant beaucoup sur l'émotion, les tests des niveaux sont effectués par des humains, qui jouent et rejouent, et des playtesteurs externes. Il n'ont que très peu de tests automatisés, voire pas du tout. Ils ont de grandes sessions de QA, mais faites par des humains (un chèque cadeau de 100€ contre 3-4h de test d'un niveau).

Quantic, et Ubisoft, et finalement pas mal des grosses boites de jeu sont connues pour avoir des rythmes de développement effrenés quand les dates de milestone approchent, surtout quand la dernière arrive. Ils savent qu'après la date finale, ils ne pourront plus rajouter de contenu sur leur jeu, et ils y ont travaillé des années, par passion, ils ont envie qu'il soit parfait. Et comme ils sont aussi généralement en retard des milestones précédentes pour avoir grapillé sur les specs, ils ont beaucoup de travail à faire à la fin. Ces periodes de burn sont très durs, et il est fréquent que des démissions arrivent à la pelle après ces périodes, qui en dégoutent plus d'un de travailler dans ce milieu.

Les salaires ne sont pas mirobolants non plus, les boites jouant beaucoup sur le fait que "mais tu viens faire ta passion, travailler dans le jeu vidéo c'est pas donné à tout le monde, si tu ne veux pas de ce poste, je vais en trouver facilement d'autres, tu devrais être content."

Ce qu'il est intéressant de noter sur la composition des équipes, c'est qu'il y a autant de développeurs (une vingtaine chez Quantic en tout cas) pour la conception du moteur de jeu en lui même que pour la conception des outils internes (outils pour importer les textures, gérer les modèles 3D, gérer le motion capture, etc).

Finalement dernière point intéressant pour revenir sur les différentes milestones, c'est que généralement les deux premières (pre-alpha, alpha) contiennent surtout des artworks et pas de phase de jeu, puis vient la "vertical slice", qui est censé donner une vue d'ensemble d'un niveau du jeu. Avec la musique, les effets, le scénar, le moteur 3D, etc. Bref, toutes les couches du jeu sont présentes, mais sur une durée limitée. Ce genre de production peut difficilement être réutilisée dans le projet final, et c'est donc finalement du temps "perdu" en développement, mais gagné pour le coté marketing.


Tags : #humantalks

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